DEBARQUEMENT 6 JUIN OMAHA

Témoignage de Michel Hardelay

HISTOIRE DU POSTE A GALENE

 

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Ordre de porter en mairie les postes radio
A une date qu'il m'est très difficile de préciser, vraisemblablement à la fin de l'automne 1943, fut affiché devant la mairie un ordre enjoignant à tous les possesseurs de poste radio, habitant la zone interdite, de porter en mairie leurs postes radio avant une certaine date. Un reçu leur sera remis et au delà de cette date des sanctions sévères seront appliquées contre toute personne trouvée en possession d'un poste radio. Les sanctions sévères n'étaient pas précisées, mais on pouvait imaginer lesquelles.
Cet ordre venait dés autorités allemandes de Caen, sur les directives de Paris, sans doute.
Il importait donc, dans un premier temps, de sauver "les meubles".

Un vieux poste hors d'usage
J'achetai à Bayeux un vieux poste radio équipé de lampes hors d'usage que je me proposai, de porter en mairie à la date indiquée, otai les lampes de mon poste - je devais les ranger à Paris lors de mon prochain voyage dans la capitale - démontai le haut-parleur, le rangeai, dans un tiroir, quant au poste ou du moins ce qu'il en restait il fut placé dans un coin d'ombre du grenier et couvert de poussière.

Un poste à galène
Comme je voulais continuer à écouter la radio anglaise je me rappelais que ma mère, en 1919 ou 1920, avait gagné, ou du moins eu une réduction dans l'acquisition d'un poste à galène pour sa vulgarisation. Comme nous apercevions la tour Eifel de nos fenêtres nous pensions que nous recevrions les émissions avec une installation d'antenne sommaire; mais mon père dut vite déchanter et constata qu'il fallait apporter tous ses soins à l'isolation de l'antenne et également à s'assurer une très bonne terre.

je me mis au travail
Le poste que nous avions reçu était des plus simple : une bobine qui faisait l'office de self pour l'accord avec ses deux curseurs, la galène, un casque et un condensateur de capacité variable très rudimentaire. En somme rien de bien difficile à réaliser à condition de posséder une galène. Notre poste se trouvait dans un grenier de notre maison de Jouy-en-Josas et celle-ci était occupée par les "Souris grises" de la Werhmacht; donc récupération impossible de ce côté.
Or je faisais de temps en temps une partie d'échecs avec le fils du maire, aujourd'hui notaire à Bayeux et lui parlais incidemment de mon problème, il me dit qu'il avait une galène et qu'elle ne lui servait pas; il me l'apporta à son prochain voyage, de Caen où il faisait ses études de Droit. Elle était contenue dans un tube de verre et le contact avec un cristal était réalisé définitivement, ce qui diminuait un des réglages. En effet le contact de notre poste d'origine devait se faire à la main avec un petit ressort à pointe monté sur une rotule.
En possession de la galène je me mis au travail. Il me fallait du fil fin, en cuivre et isolé pour enrouler sur une bobine. J'avais calculé que pour un cylin­dre de 30 centimètres de long et de 10 centimètres de diamètre il me fallait environ 300 mètres de fil à raison de trois spires au millimètre. Or j'avais aperçu, en promenant mes chiens à travers les herbages du vaste triangle entre les villages de Vierville, Saint-Laurent et Formigny, un dépotoir allemand avec du fil téléphonique paraissant abandonné. J'y retournai et put démêler un long bout de cable que je mis dans ma musette qui servait quelquefois à y mettre un lapin attrapé par mes chiens. Mais ce cable était-il endommagé ? Rentré chez moi je l'auscultai : un des deux conducteurs était bon sur 310 mètres; c'était un fil de cuivre de 2,5 dixièmes environ enduit de vernis noir, l'idéal. Commença alors le délicat travail qui consistait à extraire de la gaine, heureusement assez large,
le bon conducteur sans le dégrader. Je sacrifiai le deuxième conducteur, essayant toutefois de conserver des longueurs de 20 mètres tandis que j'enroulais le premier sur une jante de roue de bicyclette.
Je récupérai un tube de carton épais qui contenait des plans; mais comme son diamètre était trop faible je dus coller plusieurs feuilles de carton pour l'amener à faire 9 on. de diamètre, ce qui eut pour effet de le renforcer. Je taillai deux petits cylindres à la dimension intérieure de la future bobine, en collai un à une extrémité, le deuxième devant recevoir sa place définitive à la fin du bobinage.
Pour exécuter ce bobinage je dus construire un bâti en "Meccano" auquel je fixai le tube en carton, une manivelle me permettant de faire tourner le tube alors que je guidais le fil de la main gauche en essayant de réaliser des spires jointives; des points de colle sur le carton empêchaient un déroulage intempestif. Ayant fait 32 centimètres de bobinage j'arrêtai le bobinage et fixai l'extrémité du fil, collai le deuxième petit cylindre après avoir coupé le bout de bobine en carton inutilisé.

Je découpai une planchette de 45 x 14, donnai un trait de scie circulaire sur l'épaisseur dans un angle pour recevoir le condensateur de capacité variable, préparai deux flasques de la forme ci-contre avec des encoches pour recevoir les réglettes des curseurs: dégageai sur le bobinage, avec du papier de verre un cheminement pour les con­tacts des curseurs, assemblai les flasques sur la planchette à l'écartement du bobinage, posai la galène que je reliai d'une part à une réglette, d'autre part à une borne. L'autre réglette, munie également d'une borne, devait être reliée à l'arrivée de l'antenne, enfin installai entre les flasques le bobinage et fixai les réglettes, munies de leurs curseurs.
Le condensateur fut formé d'une feuille de carton, taillée en secteur d'un quart de cercle, sur lequel fut collé, sur les deux faces, une feuille d'étain revêtue d'une feuille de cellophane, le tout relié à la borne "terre" et pouvant pivoter dans l'entaille, elle même revêtue de deux feuilles d'étain collées sur deux secteurs de carton, et reliées à la borne "écouteur".

Une antenne invisible
Restait à monter une antenne invisible. Je pris une grosse corde (elle avait servi au monte-charge des Hortensias), torsadai six bouts de vingt mètres de fil téléphonique récupéré, introduisis ce conducteur dans le centre de la corde en détendant un des trois torons. La corde qui avait environ quinze mètres, fut tendue dans le grenier en direction Est>-0uest pour éviter autant que possible le brouillage que je soupçonnais venir de Caen ou de Rouen; elle présentait ainsi sa longueur perpendiculairement à la côte anglaise. Trop longue une extrémité pendait à terre au-dessus de la cloison séparant la chambre de ma mère d'une petite pièce servant de bureau. Je perçai le plafond et le plancher du grenier au droit de la cloison, fit traverser le cable d'antenne par l'orifice, posai une baguette électrique (récupérée aux Hortensias) verticalement pour amener l'antenne à une prise électrique murale, raccordai l'autre borne de la prise à un fil allant chercher une bonne terre à un tuyau amenant l'eau du puits. La corde du grenier servit par la suite de corde à linge.

Essais
Et je procédai aux essais. Après divers tâtonnements et réglage des curseurs ils furent plus que satisfaisants : brouillage faible permettant d'entendre très distinctement la B.B.C. J'ôtai le bord du fond du dernier tiroir au secrétaire en pitchpin, coupai une planchette pour avancer ce bord de 17 centimètres, fixai dans le vide ainsi ménagé le poste sur le fond du secrétaire. L'écouteur pendu ostensiblement à un vieux téléphone fut relié au poste par derrière le secrétaire ainsi que le fil antenne-terre qui paraissait alimenter la lampe posée sur le dessus du secrétaire.

la B.B.C
Il me suffisait dorénavant, aux heures d'émission de la B.B.C. de mettre la fiche dans la prise, de prendre l'écouteur et de noter les informations. A partir du 9 juin je tapais ces informations et allais afficher mon bulletin sur un volet de l'épicerie. En cas de nouvelle sensationnelle je faisais une "édition spéciale" et n'hésitais pas à minuit et demi à aller épingler mon bulletin à l'épicerie, ce qui faisait une distraction pour le M.P. de garde.

M. H.
Vierville/mer, 15sept. 1990 (à l'intention des jeunes générations et pour l'Histoire)

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