DEBARQUEMENT 6 JUIN OMAHA

Témoignage de Michel Hardelay

13 - ET PENDANT CE TEMPS, A LA PLAGE

Etat des lieux
II ne m'appartient pas, ici, de narrer les différentes péripéties des unités U.S. qui ont débarqué le jour J, ni les combats qui eurent lieu pour la conquête des points clé, mais j'insisterai sur les défenses allemandes, actives ou passives, et surtout sur l'état des lieux dont on a peu parlé dans les différents ouvrages sur le débarquement.
Je rappelle que j'avais parcouru le boulevard la veille, le lundi 5 juin, entre l'hôtel du Casino et notre villa et avais pu constater dans quelles conditions de défense les Américains trouveraient la plage le lendemain.
De nombreuses photos montrent les défenses de plage; en allant de la basse-mer au rivage on trouvait : les grilles belges, les arbres verticaux à tête minée, des sortes de portiques avec lames coupantes destinées à éventrer les coques des barges, enfin des croisillons tchèques.

Une défense naturelle
Mais on a peu évoqué une défense naturelle : une large frange pentue de galets qui existait à cette époque sauf sur une faible distance, en face de la stèle actuelle du premier cimetière, où la route était protégée par des épis, ce qui n'empêchait pas la mer de miner le trottoir aux fortes marées ; du fait de l'occupation allemande on ne pouvait procéder aux remblais annuels et la route présentait à cet endroit en 1944 une sorte de berge à pic qui pouvait servir de protection et de tremplin pour traverser la route et, les barbelés franchis, de gagner les terrains marécageux à l'abri des roseau puis la falaise en pente assez douce en ce lieu, pour arriver au plateau miné.
Ce doit être le parcours suivi par le "ranger" avec qui je me suis entretenu vers 8 heures et quart. Plus tard, pour commémorer cette percée, le Génie U.S. érigea, en crête de falaise, un arc de triomphe en bois.
J'ajouterai que cette faible portion de plage était assez éloignée des postes sis en haut de la falaise, aussi bien à Vierville qu'à Saint Laurent, donc relativement hors de portée des tireurs allemands, qui s'estimaient protégés par les terrains minés.
Pour en revenir aux galets : ceux-ci constituaient une défense naturelle, infranchissable pour tout engin à roues ou à chenilles, sans l'aide d'un bulldozer qui peut immobiliser les galets par une couche de sable. Force était donc aux engins débarqués d'attendre l'arrivée de ceux-ci, mais, la mer étant haute à midi,il fallait tenter de gagner un point haut, ce qui n'était guère possible, d'où des embouteillages et des pertes de matériel.

Les Américains devaient regretter de ne pas avoir accepté les "clowns" du général Hobart proposés par les Anglais, notamment ce char qui pouvait dérouler devant lui un tapis de fort grillage, mais ils n'avaient accepté que les chars amphibies dont l'utilisation en mer houleuse fut une catastrophe.

La digue
Une partie de la digue, du sentier qui gravit la falaise à notre villa, soit sur 500 m. environ, avait été terminée en 1937 (je peux faire une erreur d'un an). Pour sa construction on avait utilisé une machine sur rails qui, à l'avant repoussait les galets vers la mer et, à l'arrière, battait les pieux en béton. Les galets ainsi enle­vés formaient un haut talus derrière lequel se trouvait, à l'époque, un profond fossé. Ce dispositif fut la cause de nombreuses victimes : les G.I. gravissant les galets pensaient arriver au boulevard, se faisaient tuer en haut du talus ou dans le fossé par des tirs d'enfilade.

Le réseau de barbelés
Il y avait ensuite à franchir le réseau de barbelés, peu dense, situé sur le côté Sud du boulevard. Le fil d'alerte était peu dangereux à condition de ne pas stationner à proximité de la caissette qui contenait le détonateur qui, en explosant cassait la bouteille d'essence, y mettait le feu se propageant aux copeaux garnissant la caissette

Les ruines des villas
Ces obstacles surmontés les G.I. pouvaient trouver abri parmi les ruines des villas démolies ou en cours de destruction, puis gravir la falaise derrière le masque de fumées dégagé par le feu des herbes allumé par l'explosion de projectiles divers.
Le 10 juin 1990 j'ai eu la visite de Mr et Mrs Dan TRAHEY Jr. qui m'a fait comprendre qu'avec la Cie K du 116th d'infanterie de la 29th Division il avait débarqué juste en face de notre villa et qu'il avait été protégé des tirs du poste allemand situé en haut de notre falaise par les pignons encore debout des "Hortensias".

Blockhaus
II n'existait aucune défense allemande entre ce poste et l'ensemble des ouvrages des "Moulins" à Saint Laurent, par contre, en ces deux endroits, un blockhaus était en construction et prévu pour tirer vers l'Ouest; à Saint Laurent l'artillerie se limitait à deux tourelles de char Renault de la guerre de 1914-18 montées sur socle en béton, l'une en bordure de plage, l'autre sur un ouvrage visible actuellement à droite de la route conduisant au monument de la 6th brigade de Génie U.S.
La 716ème division allemande avait eu deux ans pour équiper ses divers points de défense; chacun comportait, en principe, deux fosses à mortier, quatre positions de mitrailleuses, parfois une mitrailleuse sur affût tournant pour tir sur avion, un abri à dix mètres sous terre desservi par une galerie ayant deux sorties distantes de 50 mètres et un poste de commande de tir à flanc de falaise; le tout desservi par un réseau de tranchées et des liaisons téléphoniques enterrées. La plupart des ouvrages étaient bétonnés. Les liaisons téléphoniques aboutissaient au P.C. de la compagnie - à Vierville au manoir de Thaon, à Louvières au château de Gruchy -les P.C. de compagnies étant eux-mêmes branchés sur la ligne Cherbourg à La Roche-Guyon et au quartier général d'Hitler. Le branchement sur cette ligne était assuré dans une petite casemate qui existe encore dans la campagne de Louvières.

Défendre les accès à la plage
Le maximum des défenses visait à protéger et à défendre les accès à la plage, c'est-à-dire les sorties de plage pour les Alliés. Ainsi à Vierville, en plus des deux positions de part et d'autre du vallon avaient été coulés trois blockhaus : l'un abritait un canon de 88m/m pouvant tirer vers l'Est en balayant la plage et le boule­vard, son embrasure se confondait avec la suite d'une haie de tamaris plantée sur le talus du bord de route; le second un canon de petit calibre sur affût pivotant et pouvant tirer dans les deux directions latérales à la plage; le troisième un canon de 75 m/m biflèche à mi-flanc de falaise, à droite de l'actuel chemin montant au camping. Enfin deux canons de 77 m/m avaient pris position en haut de falaise à la "fosse de Louvières" et étaient sous le commandement de l'unité occupant le château de Gruchy.
Une grande excavation dont le fond était miné avait été creusée en travers de la route à l'amorce de sa montée à l'hôtel du Casino; elle était suivie d'un mur anti­tank d'un mètre de large à la base, de deux mètres de haut et s'appuyant sur un mur
soutènement au Sud et sur le blockhaus du canon de 88 au Nord; une chicane de 65 gr permettait le passage d'un homme au centre.

29° DI : réduire les défenses et dégager la route
La 29th division U.S. avait pour mission de dégager la sortie de plage de Vierville et c'est elle qui dut réduire les défenses et dégager la route d'accès au village. Le canon de 88 m/m repéré, on fit appel au char amphibie "Barbara", commandé, par Wayne Robinson et un des deux chars rescapé de la première vague, pour tirer au travers de l'embrasure, ce qui fut fait et mit fin au tir dévastateur de cette pièce.
Si je ne sais pas comment fut comblé le fossé précédant le mur, j'ai pu savoir, le 6 juin 1989, comment le mur fut détruit, ou tout au moins une partie indispensable au passage des véhicules: C'est le démineur Noël A. DUBE, de la compagnie B qui sous les ordres du capitaine de la compagnie C - son capitaine avait été tué à son côté er quittant la barge- s'acquitta de l'opération avec dix kilos de T.N.T.
Mais ces diverses opérations avaient demandé beaucoup de temps, beaucoup d'efforts et beaucoup de vies humaines.
La route ne fut dégagée qu'en milieu d'après-midi et exploitable en début de soirée moment où un poste de commandement fut établi dans la petite carrière sur le côté de la route et où une unité gagna une des fermes de la route de Grandcamp pour y passer la nuit, alors que d'autres éléments allaient s'installer aux "Isles".