DEBARQUEMENT 6 JUIN OMAHA

Témoignage de Michel Hardelay

14- MERCREDI 7 JUIN, à la GARE, aux ISLES et AILLEURS.

La petite carrière
A la suite de l'incident qui bloqua le carrefour au passage des fantassins le commandement - installé la veille au soir dans la petite carrière de la rue de la Mer, carrière qui devait être par la suite énormément exploitée par le Génie U.S. pour déposer en enrochements d'accès - décida de la fouille des maisons et de l'internement temporaire des civils habitant à l'Ouest du carrefour, pour vérification d'identité.
Le commandement avait été conforté dans cette décision par ce qui venait de se produire à la ferme de "l'Ormel" : Un allemand s'était caché dans une voiture et avait tiré sur des G.I. de passage; dans ce cas les Américains employaient une méthode simple, c'est-à-dire une grenade incendiaire pour débusquer le tireur Mais ils ne virent sortir que le fermier et quelques uns de ses employés et furent obligés de faire une inspection systématique de toutes les annexes qui ceinturaient la cour de la ferme sur les trois autres côtés. Finalement l'allemand fut découvert et se rendit sans opposer de résistance.

La gare routière
A la gare routière chaque unité passant devant le bâtiment et apercevant le trou noir de l'entrée de la cave faisait sortir ses occupants qui y avaient passé la nuit en compagnie de leur chien et d'un ..... cochon (le cochon dans une hutte en roseaux, le chien, dans sa niche entre le cochon et l'entrée de la cave)qu ' ils engraissaient. Certains avaient même tiré quelques coups de revolver, les balles avaient ricoché sur les murs et provoqué la sortie de la mère Jeanne, furibonde. Celle-ci avait empoigné les deux revers du battledress de l'officier et lui avait crié :"I1 y a des enfants dans cette cave, vous voulez nous tuer tous?"
Suivant les décisions prises le père Louis et ses deux fils furent donc priés de sortir de la cave et, accompagnés, furent conduits à la carrière. On avait ordonné aux hommes de mettre les deux mains sur la nuque, mais le père Louis avait refusé en disant : "Ce n'est pas à un français qui a fait la guerre 1914-1918 qu 'un américain doit demander cela".
Ils furent donc tous trois emmenés jusqu'à la carrière, vers 10 h et là ils retrouvèrent une cinquantaine d'hommes de l'entreprise TODT qui avaient évacué le château, du moins je suppose les ouvriers originaires de pays alliés, les cadres et les autres préférant suivre les Allemands.
La troupe partit pour les rives du Ruquet, à Saint-Laurent vers 11 heures. Le parcours fut sans histoire et relativement facile, si ce n'étaient les épaves de matériel à contourner et la vue de nombreux cadavres de G.I. entassés sur le trottoir bordant la mer, surtout dans le secteur "DOG RED" où ils étaient parfois sur quatre épaisseurs.

un calvaire à la place d'une promenade
Arrivés à Saint-Laurent, à la suite d'un ordre donné à leur insu au chef du convoi, on vint leur dire qu'ils pouvaient, tous trois, retourner à leur domicile de Vierville. Mais le trajet du retour fut tout différent du trajet de l'aller : un calvaire à la place d'une promenade. Les allemands avaient amorcé leur contre-attaque et des obus de mortiers et de canons de plus gros calibre tombaient au hasard sur la plage; ils durent, maintes fois, s'aplatir en catastrophe, parfois à côté d'un cadavre, pour échapper aux éclats. Ils mirent ainsi plus de deux heure pour revenir à la sortie de plage de Vierville et regagnèrent leur cave peu avant le rassemblement des civils où ils n'étaient pas conviés.
Lors du bombardement du carrefour un half-track en feu, en tentant de s'enfuir par la route de Grandcamp, mit le feu à la gare. Les occupants de la cave eurent tout juste le temps de sortir et de sauter en bas du mur de soutènement qui bordai le terrain, abandonnant le cochon et le chien. Curieusement lorsque l'on put accéder de nouveau à la cave ce dernier vivait encore et but un plein seau d'eau pour renaître à la vie. Mais le cochon était mort.
Ces renseignements ont été recueillis auprès d'un des deux fils du père Louis,

Aux "Isles"
Aux "Isles", où, d'après les rapports que j'ai lus, une compagnie U.S. s'était installée dans la soirée du 6 juin, la situation n'était pas fameuse pour les Américains, les allemands ayant pu s'infiltrer durant la nuit.
On a vu précédemment comment l'"0rmel" avait été incendié; les allemands avaient commencé à creuser une vaste casemate-abri derrière le bâtiment d'habit­tion, des arbres y avaient été même transportés pour servir d'étais et de toit; ils connaissaient donc très bien les lieux et les cheminements à couvert pour y parvenir sans être vus.
Ce qui s'était produit pour l'Ormel devait se répéter pour le petit château qui abritait la famille Y. exploitante de la ferme des Isles :à la suite d'un vague soupçon de présence de l'ennemi dans le bâtiment, les américains y mirent le feu et la famille Y. dut abandonner les lieux; au lieu de sortir par l'accès principal elle gagna le champ situé derrière les étables et la petite route qui, partant de l'église, longeait l'enceinte du Vaumicel laissant sur la gauche la "chasse au frêne" qui arrivait à la porte principale de l'Ormel. Elle rencontra ce faisant un détachement allemand et la grand'mère qui était d'origine alsacienne, avisant un soldat, lui demanda en allemand où ils pouvaient se rendre afin d'être à l'abri de tirs ou combats éventuels; le soldat parut éberlué et ne souffla mot ; la mère avisant un autre soldat lui demanda, en anglais cette fois, comment échapper aux combats ; le soldat sourit et mit un doigt sur ses lèvres.
La famille Y. put gagner Louvières où la grand'mère possédait une ferme et put s'y installer provisoirement. Sa fille, son mari et leurs enfants revinrent à Vierville le lendemain et s'invitèrent à déjeuner chez nous le vendredi; c'est au cours de ce repas qu'ils me racontèrent cette anecdote. Le mystère allait se confirmer le lendemain.

Un ménage de tacherons et leur fille
Dans le quartier des "Isles", à l'embranchement de la petite route allant au Vaumicel sur la route de la "Croix Mitard" et de Saint Sever, se trouvait une maison habitée par un ménage de tacherons et leur fille. C'est de celle-ci que j'ai parlé au début de ces pages comme ayant reçu une belle bicyclette bleue à l'occasion de sa première communion. La famille redoutant les combats décida de gagner Louvières dans la matinée du 7 juin. Elle ferma portes et volets et prit la route du Vaumicel, laissant la bicyclette dans une remise.
Au bout de peu de temps elle fut dépassée par un détachement d'allemands; en serre-file il y avait un sous-officier qui se pavanait sur la belle bicyclette bleue. La fille pensa aussitôt "Voilà mon cadeau qui fout le camp sans espoir de retour"!
Ils continuèrent leur chemin par la campagne de Louvières et aperçurent las allemands qui les avaient dépassés et qui en avaient retrouvé d'autres discuter dans un champ. Sur le revers du fossé le bordant se trouvait la bicyclette bleue. L'occasion était trop belle : la fille se saisit de l'engin, l'enfourcha et, lais­sant là ses parents, s'enfuit à toutes pédales.
Le lendemain, dans leur maison, je devais faire d'étranges découvertes.