DEBARQUEMENT 6 JUIN OMAHA

Témoignage de Michel Hardelay

VIERVILLE SOUS L'OCCUPATION ALLEMANDE

3 - LA LUFTWAFFE OCCUPE LE BORD DE MER

J'avais passé la ligne de démarcation ...
J'avais passé la ligne de démarcation un soir de fin octobre 1940, à Moulins, quelques minutes avant la fermeture des bureaux allemands. Peu de jours avant le Maréchal Pétain avait rencontré Hitler à Montoire et les Allemands étaient favorablement disposés envers les officiers français qui regagnaient la zone occupée.
Je n'avais eu que de vagues nouvelles de ma mère par les deux lignes parcimonieusement autorisées sur les cartes interzones ; je la savais rentrée à Vierville après son repli en Bretagne mais j'ignorais dans quelles conditions elle vivait.
J'avais pu ramener de Miramas ma fidèle 301, ce qui avait demandé beaucoup de démarches et de temps. Aussitôt arrivé à Paris je cachais la voiture dans une remise que possédais ma mère et me mis en rapport avec celle-ci par lettre, unique moyen de communication avec la province occupée, des parents, des hommes d'affaires et mon notaire, car il y avait beaucoup de problèmes à régler.
Cela me prit cinq semaines et ce n'est que début décembre que je pus prendre enfin le train de Cherbourg après avoir retenu une place.

J'arrivais à Bayeux
Quand j' arrivais à Bayeux le propriétaire-fermier de 1 ' Ormel qui avait logé ma mère dans la maison qu'il était en train d'aménager pour sa retraite m'attendait à la gare avec sa voiture. Il avait sacrifié deux précieux bons d'essence pour le trajet. Ma mère 1'avait accompagné ; je ne l'avais pas revue depuis onze mois.

Presque toutes les villas avaient été réquisitionnées
Elle m'expliqua qu'elle n'avait pu revenir assez tôt pour occuper notre villa avant que les Allemands ne s'y installent et que toutes les villas non habitées à leur arrivée, c'est-à-dire presque toutes, avaient été réquisitionnées. Seules "Le Pigeonnier" habitée par une vieille amie, alsacienne d'origine et donc parlant cou­ramment allemand, et "La Source" où s'était retiré un ancien bijoutier de la capitale avaient été laissées à leur propriétaires.
Ilfaut ajouter à ces deux exceptions deux ménages qui occupaient des pavillons de gardiens : les Bertram et les Quesnel; ces derniers étaient gardes de la villa "Ker Maria", de construction récente et qui possédait tout le confort moderne de cette époque. Le colonel de l'unité de la Luftwaffe se l'était évidemment réservée laissant ses services s'installer dans les plus vastes.
Ainsi nous avions hérité d'un capitaine et d'un lieutenant, de divers secrétaires et d'un interprète, professeur de français à Berlin. Comme notre villa était destinée à des vacances d'été, ces messieurs avaient dû installer des poêles dans chacune des pièces et même une baignoire à chauffage d'eau électrique par accumulation.

Les Allemands nous autorisaient...
Les Allemands nous autorisaient à entretenir le jardin, les fleurs et à cultiver les potagers. Nous pouvions cueillir les fruits après qu'une expérience tentée sur des figues pas mûres les aient dégoûtés des fruits français.
Un jour le capitaine me fit signe de le suivre, monta un étage et s'arrêta devant un petit meuble qui se trouvait autrefois dans ma chambre ; il 1'ouvrit et me tendit des photos. Elles avaient été prises au camp de Biscarosse et représentaient des camarades officiers servant du matériel et des canons de D.C.A. modernes. J'étais présent sur plusieurs photos; il me les remit et me dit : "Pour vous", cela sous-tendait : "Nous savons tout de vos états de service, mais nous respectons tous les officiers français qui ont fait leur devoir et qui ne sont pas prisonniers".

"Jude ?"
Un autre jour le lieutenant me demanda : "Jude ?" en me désignant; j'amorçais une réponse en anglais : "I am...", mais il mit un doigt sur ses lèvres en souriant pour me faire comprendre qu'il ne fallait pas utiliser cette langue. Je me contentais de répondre : "Catholique" alors que je désirais lui spécifier que mes ancêtres étaient huguenots au dix-septième siècle.

Les allemands profitèrent de la plage
Je ne sais quelles étaient les fonctions de cette unité de l'aviation allemande : bombardement de 1'Angleterre, surveillance des côtes ou exploration sur 1'Atlantique?
De toutes façons ils ne paraissaient pas avoir de grosses préoccupations pendant l'année 1941 et profitèrent de la plage et du beau temps de l'été : concerts par la musique régimentaire soit sur le tennis, soit devant les fenêtres de "Ker Maria" et bains de mer ou de soleil. Je les ai vus allongés sur des transatlantiques, se faisant servir sur la plage des boissons par des serveurs gantés de blanc en écoutant musique et informations, n'ayant pas hésité à dérouler un câble pour amener le courant élec­trique de la maison au premier banc de sable.

Fausse note
La seule fausse note eut lieu un après-midi de septembre 1941; un pilote sans nul doute novice voulut saluer son colonel et lui montrer de quoi il était capable ; il arriva en rasant les vagues et amorça un looping, mais n'étant pas monté assez haut il ne put redresser son appareil assez vite et celui-ci piqua du nez dans la mer.
J'étais en observation dans la maison du village et n'ai rien perdu du spectacle, l'oeil rivé à ma longue-vue. Le pilote avait pu se dégager à temps et je le vis nager ou plutôt flotter, son parachute faisant office de bouée de sauvetage. Une vedette vint le receuillir une demi-heure plus tard. Une trentaine d'années après un chalutier de Port-en-Bessin ramena dans ses filets le moteur et l'hélice de ce chasseur.

C'était le signe d'un proche départ de l'unité
Puis ce fut l'échec de l'armée allemande devant Moscou; par une fraîche matinée du début d'avril 1942 je vis le lieutenant se promener lentement dans le jardin accompagné d'une "souris grise"; C'était le signe d'un proche départ de l'unité qui avait passé dix-huit mois à Vierville. Certains allaient partir sur le front de l'Est, mais les chouchous du maréchal Goering allaient finir la guerre à Jersey ou à Guernesey après un bref passage à Granville où j'ai eu la surprise de manger dans une assiette de notre service en 1945 au rness des officiers de cette garnison. Les armées ont l'habitude de se servir des mêmes locaux que leurs prédécesseurs, les villes leur proposant les mêmes immeubles pour plus de commodité.

Une unité du génie
Les aviateurs allemands nous ayant prévenus qu'une unité du génie allaient procéder à certains "aménagements" nous décidâmes de récupérer tout ce qui pouvait l'être : gros meubles rarement intacts,portes, appareillage électrique.

Nous devions remonter les objets par la falaise
Nous devions remonter les objets par la falaise; ce fut une course avec d'autres récu­pérateurs car nous avions beau fermer la villa à notre départ, nous la retrouvions ouverte le lendemain, certains allemands n'hésitant pas à forcer les portes pour profiter de la literie médiocre laissée sur place, et ce parfois en galante compagnie.
La société d'électrification - ce n'était pas encore l'E.D.F. - s'était empressée de démonter ses compteurs et son transformateur alimentant la plage, de récupérer ses câbles ou, du moins, ceux que les Allemands n'avaient pas pris; quand aux poteaux ils devaient servir à de multiples usages bien différents à celui pour lequel ils avaient été employés.
Et les destructions commencèrent avec l'arrivée du génie.