Témoins Normands

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VOIDY Albert : en 1944, âgé de 23 ans, célibataire, cantinier à Bernesq

Des américains blessés "

"J'ai vu ,d'abord, des américains blessés, c'était les tous premiers. Un était un canadien qui parlait très bien ; il était encadré par deux allemands, l'un devant, l'autre derrière avec son fusil mitrailleur. Ils ramenaient les prisonniers, ils se sont arrêtés au chateau d'eau et dans le bourg à la pompe. Il y en avait un qui était à peu prés mourant porté sur un brancard, il était jaune. Ils ont pris de l'eau, puis ils sont repartis vers Cerisy la Forêt mais ils se sont arrêtés au chateau et ont demandé s'ils pouvaient rentrer. Ils se sont installés sur la pelouse pour boire du lait. Il y a eu deux ou trois civils qui sont venus les voir et ont donné des cigarettes .

"Je pensais pas qu'ils étaient déjà arrivés ! "

J'ai aperçu mon premier soldat américain du côté du chateau d'eau, en face , dans l'herbage. Ils ne marchaient pas sur la route car ils avaient peur des gars planqués. Des mineurs ont sauté par dessus le mur avec un drapeau et sont partis devant eux .Mais les américains n'étaient pas facile ! Moi je venais de soigner mon cheval, j'étais cantinier aux mines pendant l'occupation, j'avais ni voiture ,ni camionnette: mais j'avais un cheval. Je pensais pas qu'ils étaient déjà arrivés... ils étaient par Dungy et avaient tiré pendant toute la nuit, mais moi, j'y pensais pas à ce truc-là.

" Il me tire dessus ! "

Alors d'un seul coup, je vois un type qui me tire dessus, enfin, c'est à dire j'ai pas vu ! alors la première balle... ! ( moi à 22 ans, j'avais jamais combattu !) alors une deuxième balle !... je me suis pas rendu ! la troisième..., j'ai entendu que ça me sifflait pas loin : il visait bien la tête ... une autre balle m'a rasé la tempe...ça miaulait, ça miaulait... (une balle ,ça miaule à la vitese que ça passe! ) Ça faisait bien la quatrième... ou la cinquième ! Je croyais que j'allais y passer... D'un seul coup, je vois un gros chasseur américain qui était au desssus de l'herbage... ça, il était gros et puis alors son moteur puissant... il était là pour protéger les soldats qu'ils voyaient ; il a du voulu voir si j'avais un habit militaire allemand. Il a été faire demi tour et avec son aile il a fait un signe (il devait y avoir un code entre l'armée et l'aviation ? )

"Il a vu un gars en béret !"

Comme ça, lui, il m'a vu : il a vu un gars en béret, en veston bleu que j'avais...alors ça l'a fait arrêter! C'était un jeune, je ne sais pas s'il avait 20 ans! Il avait les yeux inquiets, alors, j'ai vite montré mes mains pour montrer que je n'avais pas d'armes.
Je sui redescendu chez moi, vers la ferme. Y'avait beaucoup de monde, je voyais de grands américains qui traversaient le long des haies avec la carabine, ils n'avaient pas peur !
Après, j'ai vu, au carrefour, un char américain qui venait de Littry, la jonction n'était pas faite de par Isigny ; il était gros ce char, gros ! il venait à toute allure et puis il a fait une maneuvre et a fait demi tour et puis hop , il est reparti sur Littry.
Vers les trois heures, ils ont installé une batterie d'artillerie mais ils n'ont pas été longtemps à l'installer! ça a duré une heure et demie... Et d'un seul coup un ordre... il n'y avait plus d'allemands... et il fallait aller vers Cerisy, Tournières et donc tout remballer ! dans l'espace de trois quarts d'heure... mais les gars connaissaient leur boulot ! tout était remballé ! tout était emboîté !

"ils nous montraient leurs photos "

Il y en a qui nous montraient leurs photos : leur femme, les enfants, la ferme qu'ils avaient laissée avec des étables trés modernes... Mais ils n'avaient pas beaucoup le moral, l'un disait : " Faut pas demander si ça va ! "

Interview du 31 mars 1994 à Bernesq
Recueilli et transcrit par Aurore Larue, Sandra Vautier, Marina Pesquerel