GI'S et NORMANDS :Témoignages de Gi's, interview d'Henry YAHALLA, vétéran d'Omaha Beach

Le Samedi 4 Juin 1994, de lOh à 12h à St-Laurent s/ Mer

Q: Avez-vous jamais sauvé la vie de quelqu'un ?
R : Oui, plusieurs vies. Plusieurs.

Q: Pourquoi avez-vous choisi ces surnoms pour les plages de Normandie ?
R: Les noms n'ont pas été choisis par nous mais par ceux qui étaient au-dessus de nous et qui étaient nos supérieurs. On était juste des subalternes et on allait là où ils nous disaient. Pourquoi on les a appelé comme cela, je n'en ai aucune idée. C'était leur décision.

Q: Avez- Vous peur d'être parachuté à nouveau?
R: Oh ! Je reviendrai à nouveau sur la libération de la France. Je n'étais pas un parachutiste mais je reviendrai à nouveau à cause de la tyrannie des Allemands et de leur cruauté. Et parce que leur but était de gouverner et de tyranniser le monde entier.

Q : Quels sorti vos sentiments sur tes lieux après 50 ans ?
R: Je suis très ému. Très ému. C'est très curieux d'être là de nouveau. A cette époque, les Normands n'avaient rien. Tout ce qu'ils avaient étaient leur chaleur, leur hospitalité et leur accueil. Tout ce qu'ils avaient, ils le partageaient avec nous . Et surtout les oeufs !

Q: Si aujourd'hui vous rencontriez un Allemand qui vous a fait du mal pendant la guerre, quelle serait votre réaction ?
R: Je répondrai à cette personne "vous étiez du mauvais côté et j'en suis désolé pour vous. Comment je réagirais ? Je serais probablement un peu froid, peut-être, et je lui demanderais "comment avez-vous pu obéir aveuglément à ce dingue, ce fou criminel qu'était Hitler... Q : Comment les soldats US et aient-ils préparés au débarquement? R : Nous avons d'abord été entraînés dans le désert en vue de combattre les Allemands en Afrique. Nous avons eu auparavant un entraînement pour des opérations amphibies. Finalement, nous étions préparés è tout. Pendant un an entier, nous avons reçu un entraînement intensif.

Q : avez-vous été blessé ? (R :oui, oui) et comment?
R : très légèrement

Q : Comment ça s'est passé ?
R : Nous étions dans un trou-piège que les Allemands avaient construit à Omaha. Nous avons reçu un obus de mortier. J'étais avec 3 camarades. Un est mort, les 2 autres grièvement blessés. Je les ai ramenés tous les 3 sur la plage où nous avions une antenne médicale.

Q: Avez-vous été décoré pour cela?
R : Oui, on pourrait le dire.

Q : Comment s'est passé votre premier contact avec les français?
R : Super ! Merveilleux. C'étaient des gens de valeur, (great)

Q : Quels sont vos sentiments aujourd'hui face à ces plages?
R : Je les vois d'un oeil tranquille, en paix, calme. Je suis très heureux de voir que les gens apprécient le sacrifice du peuple américain lorsque nous sommes venus ici et qu'ils reconnaissent aussi que c'était un sacrifice pour nous de venir ici. Je me sens ému, très ému. et je me souviens de mes camarades tués dont plusieurs reposent au cimetière d'Omaha. Et d'ailleurs 2 de mes hommes ont été tués -j'étais sergent vous savez- et j'avais 12 hommes sous mes ordres. Deux d'entre eux furent tués sur le champ, plusieurs d'entre eux ont "été blessés et le reste rapatriés en Angleterre. Moi-même j'ai été blessé è la main, mais je suis resté parce que les autres avaient besoin de moi.

Q : Referiez-vous tout cela si c'était nécessaire ?
R : Bien sûr !

Q : Quelles étaient les missions de la Résistance pendant le débarquement ?
R : S'il n'y avait pas eu la Résistance française, nous n'aurions jamais eu les renseignements qui étaient en notre possession et toute la préparation du débarquement s'est basée sur les renseignements transmis par tous les moyens possibles.

Q : Est-ce que le débarquement a changé votre mode de pensée ?
R : il n'y a pas eu une semaine, un mois qui ne s'écoule sans que je me rappelle cette entreprise, cette épopée qui nous a amenés ici.

Q : Est-ce que ça Vous a changé ?
R :Je suis revenu plus spirituel qu'avant. J'apprends à apprécier la vie beaucoup plus.

Q : Pourquoi nous avez vous protégé ?
R : C'est une question plutôt ambiguë. J'avais d'abord a me protéger moi-même ... Je suis venu là mais sans l'idée que j'avais è protéger qui que ce soit. Ensuite, è partir du moment où j'étais sauf, ce qui devait arriver arrivait !

Q : avez-vous retrouvé vos camarades par la suite ?
R : Oui, nous avons eu quelques réunions des survivants d'Omaha Beach de ma propre compagnie. Ma compagnie a joué un rôle très important dans la percée d'Omaha. Parce que nous avons neutralisé un des bunker, clé de la plage. C'est le sergent Has et son équipe qui a fait le boulot et en même temps qu'il le faisait, nous avons neutralisé les périscopes dont les Allemands disposaient dans ce blockhaus. Une fois que ce bunker-là a été neutralisé, nous étions alors dans la possibilité de contrôler le périmètre qu'on nous avait assigné la veille. Ce fut très difficile ... c'était pratiquement impossible à faire.

Q : Est-ce que beaucoup de vos amis sont morts ce jour la ?
R : Oh oui ... et d'ailleurs il y a 7 de mes camarades au cimetière d'Omaha dont mon capitaine qui a été tué à l'approche de St-Lô.

Q : Est-ce votre premier séjour en France ?
R: Non, je suis venu ici en 1978 et les gens ont été très aimables(gracious). Il m'ont emmené sur un bateau comme pour simuler une attaque et avec un verre de cognac, nous avons tous crié Vive la France, Vive l'Amérique. Puis je suis revenu en 1980 et 83.

Q : Est-ce que libérer la France vous a autant stimulé que de libérer votre propre pays ?
R : C'est une bonne et difficile question. Mon pays n'a jamais été envahi. Je n'y ai vu aucune stimulation, j'étais trop effrayé pour cela. J'étais content de venir ici et de chasser les Allemands, ils n'avaient rien a faire ici car ils annihilaient et détruisaient un pays qui n'était pas le leur.

Q : Quel a été /'accueil du peuple américain à votre retour ?
R : Oh ... mon Dieu ! avec des chants, des cloches, des pancartes disant "bienvenue aux libérateurs", "beau boulot" ! Oh oui, le meilleur accueil !

Q : Quelles étaient vos convictions et celles de votre pays lors de votre arrivée?
R : Se débarrasser de la tyrannie allemande et s'en préserver nous-mêmes.

Q : Pour revenir à Qmaha, Henry, où avez-vous débarqué précisément?
R : Easy Fox Red. Et quand j'ai débarqué, je puis affirmer sans me vanter que mon half-track a été le premier véhicule sur Omaha-Beach(l). Un M16 équipé de 4 mitrailleuses M16 de calibre 50 et 1 de calibre 30. Il y avait un autre half-track derrière moi que je commandais et ce dernier avait uncanon de 37 et 2 mitrailleuses de calibre 50.

(1) Henry a fait partie de la seconde vague d'assaut à 8 heures. La première s'étant effectuée à 6h30.

Q : Que/ âge aviez-vous ?
R : J'avais 26 ans.

Q : Qu'avez-vous fait en France après la guerre ?
R : Je n'étais pas en France. Je faisais partie de l'Armée d'occupation en Allemagne jusqu'à ce que j'aie assez de points pour rentrer chez moi.

Q : Qu'avez-vous fait en Allemagne ?
R : Nous avions un grand dépôt de vivres et j'étais de faction à l'une des entrées.

Q : Le Jour-3 avez-vous dû improviser ou avez vous respecté vos consignes à fa lettre ?
R : C'est vrai, j'ai dû improviser. Mes ordres, la mission que j'avais reçue était de sortir de la barge, faire 200m a droite et d'établir un périmètre de sécurité afin de couvrir de mon feu les suivants. Mais lorsque je suis sorti de la barge, les morts et les blessés m'ont empêché de progresser sur la droite comme prévu. C'est alors que le chef de mon secteur, un colonel, m'a crié : "ne va pas par ici mais par la". Cela nous a probablement sauvé nos vies et (gained a bloss ??). Après que nous ayons atteint le point désigné où nous avons récupéré ce qui avait été laissé (par la première vague) fusils, grenades et lance-grenades et autres, nous avons fait feu sur tout ce qui se trouvait devant nous.

Q : avez Vous vous même fait des prisonniers ?
R : Pas personnellement, mais plus tard oui. Mais pas sur la plage.

Q : Henry, pouvez-vous évoquer le moment où if a fallu quitter le bateau ?
R . La barge et son encadrement étaient britanniques. Ils nous ont amenés jusqu'à la plage, lorsqu'ils ont abaissé la rampe, j'ai botté les fesses de mon chauffeur et je lui ai dit "Go". A cet instant-là, vous ne pensez à rien. Nous avions été entraînés programmés à cela pendant 30 à 40 jours et vous faites ce qu'il y a à faire . Et c'est tout. Si j'ai eu un seul sentiment, ça a été d'espérer pouvoir faire ce qui m'avait été demandé afin de préserver mes hommes et moi-mêmes.

Q : Quelle et art la situation générale à ce moment-la?
R :Vous n'avez aucune idée et personne ne pourra imaginer ce qui se passait à ce moment là. Les navires pulvérisaient tout ce qui restait debout sur la plage. Il y avait un feu d'enfer, de la fumée, des balles, tout. C'était un véritable pandémonium.

Q : Gardez-vous des séquelles, des traumatismes de la guerre ?
R : Pendant longtemps après oui. Cauchemars remplis d'avions, réveils en sueur et une tendance à boire. Légère tendance. Il est difficile de sortir intact d'une telle guerre.

C'est maintenant la fin de l'interview :

Q : Henry, quel est votre souvenir le plus marquant du Jour-J ?
R : En dehors du fait d'avoir été touché à 500 métrés du lieu où j'ai pris pied, ça a été le soulagement de quitter cette damnée barge où, pendant 5 jours, j'ai eu un mal de mer abominable, la nourriture qu'on ne gardait pas, l'impossibilité de faire ses besoins naturels et la promiscuité (62 personnes sur une barge).

Q : avez-vous un message à adresser aux enfants de France ?
R : Comme je vous l'ai dit, j'ai moi-même 5 enfants et 9 petits-enfants. Mon fils s'est battu au Vietnam et a été blessé plusieurs fois. Voilé ce que j'ai à dire à tous les enfants : Nous devons développer la faculté de pouvoir s'entendre tous ensemble. Et si nous étudions très fort et que nous gardons a l'esprit les valeurs familiales, si nous étudions l'histoire et la philosophie, nous y trouverons l'inutilité de nous entretuer. Nous pourrons alors survivre et goûter la convivialité entre les hommes.

J'ai été impressionné par votre sens de l'accueil et par l'importance que vous attachez è cet événement.

Avec la contribution de:
- Vincent Delvert, professeur d'histoire au collège de Verneuil s/Seine et de ses élèves
- Paul Boyer, interprête
- Jérôme Bertrand, cameraman
- la famille "Bertrand" réunie à l'occasion du 5Oeme anniversaire, occasion d'interviewer Henry, vétéran accueilli par nos voisins, Jacques et Odile Lecouturier.
Merci à Monsieur et Madame Bertrand de m'avoir remis ce témoignage