DEBARQUEMENT 6 JUIN OMAHA :Témoignage de la famillel Mouillard (père et fils)

Le débarquement U.S à Saint Laurent sur Mer

MOUILLARD René : en 1944, âgé de 30 ans, marié avec 2 enfants, résidant à St Laurent surmer

" Villa les mouettes "
"J'habitais dans le haut de Saint Laurent, villa "Les mouettes " (à gauche, sur la route de St Laurent, en direction de Vierville) parce qu'il n'y avait personne dans les maisons, c'est les allemands qui m'avaient mis là, ils m'avaient viré de ma maison plus bas. J'étais avec ma femme et deux enfants (ma fille de trois ans et mon fils de quatre ans)
Au début de la guerre, j'étais au Havre où j'avais été mobilisé, puis opéré d'un talon, puis j'avais été démobilisé et proposé pour le conseil de réforme parce que j'avais été opéré. Au Havre, j'ai du travailler un peu pour les allemands pour les blockhaus .
Je ne suis arrivé à Saint Laurent qu'en 1942, et là je me suis fait embauché aux mines de Bernesq où il y avait de la chaudronnerie (le charbon arrivait par camion)

" Dans le fossé"
Le 5 Juin,on était une quinzaine dans le fossé avec des fagots, des tôles, tout ça avec ma famille ; et on nous avait prévenu de partir mais personne n'était parti. Iln'y avait que 3 hommes seulement, et on était à moitié à l'abri. Et y'avait de l'évolution là haut : des avions et puis les obus qui commençaient à tomber.

"Partout les bateaux "
Le matin du 6, je n'oublierai jamais ce que j'ai vu de la villa "Les mouettes" ! j'avais trouvé des jumelles dans cette maison, c'était à des parisiens . De sous les mansardes, j'ai vu la mer : ça sillonnait de partout les bateaux : c'était magnifique ! C'est là qu'on s'est dit qu'il fallait pas qu'on se fasse massacrer comme ça .On se doutait bien que c'était un débarquement.

"Prisonnier des allemands"
Dans la matinée,je sortais souvent de dessous les fagots pour prendre l'air, et voilà que je tombe sur une colonne d'allemands qui s'en revenait d'un petit chemin de la route de Vierville à Formigny : alors là ! je ne cranais pas parce que je croyais qu'ils allaient me tuer : ils m'ont fait prisonnier tout de suite et m'ont fouillé ! J'avais un étui à cigarettes dans ma poche... ils n'osaient pas y toucher... ils croyaient que c'était un détonateur ou quelque chose comme ça !
Ils m'ont emmené et moi je me suis mis à parler au dernier qui était à côté de moi : j'essayais de lui expliquer ... mais je ne parlais pas un mot d'allemand : je lui disais " Madam ! Baby " tout ça mais quand même au bout de 500 mètres, il a été trouver son chef qui était en tête, lui a parlé, et ils se sont arrêtés et le sergent est venu me trouver, sa mitraillette sur mon ventre et m'a dit : " Vous parler : moi comme ça : tac... tac tac tac avec la mitraillette ! "
J'ai dit : "Nix parler ! " et je suis parti, je m'en retournais parce que je croyais qu'ils allaient me flinguer mais non ! Alors tout le monde, dans l'abri, était aux abois car ça avait duré 20 mn mon départ, quand ils m'ont vu rentrer, ils étaient tous contents parce qu'ils se demandaient ce que j'étais devenu!

" Sacrés obus..."
Seulement on n'avait pas à manger dans l'abri, et moi, j'ai voulu faire à manger et suis allé aux mouettes pour faire de la purée et là quand j'avais fini la purée, y'a un obus qui est tombé juste à la barrière et le plâtre est tombé en plein dans ma casserole de purée, donc on n' en a pas mangé et je suis rentré un peu pâle je crois!
Aprés je suis allé, à côté, chez ma belle soeur, pour sortir un obus ! Le canon qui tirait, ça tirait un peu à gauche parce que tout l'angle de la maison que j'habitais, tout l'angle était descendu. Chez ma belle soeur,,l'obus avait traversé le toit, le plafond et était tombé dans la chambre à coucher, un énorme obus qui était haut comme ça ( 1 m ? ) Je l'ai pris dans mes bras et je l'ai mis au bord de la route , bien en évidence ! ( je ne sais pas si je le referais maintenant ! )

"Prisonnier des américains ! "
Le lendemain matin, le mercredi 7 juin , je sors de mon abri : qu'est ce que je vois : des soldats casqués, cigarette au bec, qui, étaient accroupis avec des fusils : et eux aussi me font prisonnier ! , mais ça a fait tellement de raffut que tout le monde est sorti de l'abri ; mais, nous, les trois hommes on a été fait prisonnier et ils nous ont emmenés en haut de St Laurent , en direction du Ruquet ,( près de la colonie de vacances actuelle ) et là, ils nous gardaient si on voulait... ils ne s'occupaient pas de nous... et on a réussi à partir tout de suite.... et on a passé toute la nuit à l'angle du carrefour de St Laurent / Vierville, sous un poirier, et là on a vu le débarquement ! à pleine route ! sans faire de bruit, sans une cigarette allumée, rien du tout, des milliers de soldats qui venaient du Ruquet ! pas de matériel, rien que des fantassins ( plus tard on les a vus avec des chars , avec des bulldozers, ils lançaient des sacs de 5 kg de bonbons pour les enfants )

"Tués au lance flamme "
Le lendemain, on a sympathisé avec les américains . Je me souviens que je pompais de l'eau, sans arrêt, prés du petit chemin à Olard à une pompe pour offrir aux américains qui buvaient dans leur casque ! il faisait très beau, très chaud De temps en temps, il y avait une rafale de balles qui arrivait dans la cour alors il y a deux américains qui sont venus avec moi pour aller visiter la maison (suspecte ) à Cardine, celle après les mouettes, à côté de notre fossé, qui sépare Vierville de St Laurent ; ils croyaient qu'il y avait un snipper là, et ils avaient leur flingue mais c'est moi qui marchait devant, ça ne me faisait pas marrer, alors au début ça allait mais à la fin, plus on montait haut, plus c'était dangereux : ils ont ouvert la porte d'un coup de pied en mettant leur fusil sous mon bras ( moi, j'étais devant ! ) je tremblais ... je croyais que j'étais mort ... mai ils n'étaient pas là ! il n'y avait personne !

Ils ont eu les allemands le lendemain, ils les ont tués : Les allemands étaient restés, ils étaient 3 dont un lieutenant qui nous parlait dès fois ,qu'on connaissait un peu ,comme ça. Il nous disait " merde la guerre ! merde la guerre ! " Et bien ils ont été tués au lance flamme dans les ronces où ils étaient camouflés dans le champ à côté . Il y avait un canadien qui a trainé les allemands qui étaient attachés par les jambes, il les a mis à l'entrée d'un champ à côté de chez Olard (Ils y sont toujours parce que avec un bull, ils ont fait une entrée là et il y a eu plein de terre par là dessus )

"réquisitionné pour ramasser les cadavres "
Quelques jours après j'ai été réquisitionné par les américains pour aller ramasser les cadavres sur la plage ; il y avait un atelier à côté du café et c 'est là qu'ils nous embarquaient pour descendre en jeep avec eux, en camion. On ramassait ce qu'on trouvait, on rassemblait les morceaux, mais on n'y touchait plus après, ils se débrouillaient avec les corps. Mais on ramassait aussi les boîtes de conserves mais ils nous ont fait comprendre que ce n'était pas la peine : ils nous en donnaient une caisse énorme tous les soirs quand on y travaillait : y'avait de tout, du "salmon" ,du chicken , du poulet, tout ça, tout un tas de trucs !

"Vingt clients pour le linge !"
Après, ça c'est arrangé pour la nourriture car il y avait eu aussi beaucoup de vaches de tuées et du coup on ne manquait plus de viande. En face des mouettes se sont installés des conducteurs d'amphibies , c'était des noirs. Ils ne travaillaient presque pas, ils faisaient de la boxe preque toute la journée, si non ils conduisaient leur " canard ". Il y avait des petites tentes ou ils logeaient deux par deux
Un jour je passais par en bas et il y en un qui m'a appelé, il avait l'air sympa "Come in , Sir ! " J'y suis monté, il m' a donné du savon, du soap, des conserves, du café et d'autres choses et on a sympathisé, il était gentil comme tout . Et puis un jour il m' a fait comprendre qu'il aurait désiré que ma femme lave son linge , alors j' ai parlé de ça avec ma femme , elle m' a dit " Je veux bien ! " Si bien que j'étais obligé de faire un grand "camion " avec deux roues de vélo parce qu' on avait une vingtaine de clients après !
Alors il fallait mettre des repères sur les vêtements pour connaître les propriétaires
et on y allait à deux, avec le propriétaire de chez Cardine, pour trimballer tout ce linge et on rapportait tout un tas de trucs ! Ah ! C'était le bon temps ! Ca a duré peut être 2 mois .Ils nous payaient, ils avaient de l'argent ! des billets tricolores .

" Deux morues ..."
Et même il y avait deux " morues " qui sont arrivées...plus tard . Un jour un canadien m'a dit : " Tiens, tu viens manger à la maison ! alors il m' a donné la moitié de son repas et ils étaient choyés, ils avaient des plats avec des alvéoles pour mettre le dessert , tout ça, on a bien mangé . Et le canadien m'emmène dans des grandes tentes carrées, c'était kaki . Il n'y avait pas de lumière là dedans et j'entends " On ne peut même pas se laver le cul, là dedans ! "C'était une morue... Pourtant c'était pas un truc à faire, oh la la ! non c'était pas le sida à ce moment là... , mais ! non merci ! ça, pas pour moi !
Et puis il y a un officier qui est arrivé à ce moment là: Il m'a viré de la dedans ! Il m' a demandé ce que je faisais là... alors l'autre lui a dit que j'étais là pour le linge et il a dit " Go, home !! " gentiment mais il l'a dit quand même.

"Gardien de prisonniers allemands "
J'ai fait travailler les prisonniers allemands qui étaient au déminage, pendant treize mois. Il y en avait des mines ! Moi je surveillais une quinzaine de prisonniers allemands à déminer dans le secteur du monument, du côté de la grande maison à droite .On était aller les chercher à pied à Bayeux les allemands, j'en avais pitié parce qu'ils étaient malades ; on déchargeait comme des animaux, le train s'arrêtait et on les descendait tout de suite. Ils étaient malades , ils disaient : " Monsieur, latrines ! " Ils avaient la dysenterie " Ils arrêtaient partout sur le bord de la route : ils crevaient de faim . Quand ils sont arrivés, ils ont eu du pain, du beurre, ils se sont jetés dessus . Mais ils étaient bien, heureux. J'étais gardien, avec moi, ils étaient bien, on était trois gardiens, on leur disait " Nix partir ". Il n"y en pas eu un ! Mais ,on a eu un accident avec deux , quand même, une mine qui a sauté, pourtant le détecteur a sonné mais... c'était une mine bondissante."

Interview du 14 Avril 1994 à St Laurent / mer, recueilli et transcrit par G Badufle

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Paul MOUILLARD né le 26-12-1939, fils de René MOUILLARD né en 1914 à Saint Laurent / Mer

Le 6 juin 1944, j'avais quatre ans cinq mois et onze jours. La nature m'ayant doté d'une excellente mémoire je me souviens d'anecdotes, de faits parfois très nets pour certains et parfois fugaces pour d'autres qui m'ont marqué dans les périodes précédant et après le débarquement des nord-américains. J'ai aussi en mémoire des images claires et d'autres fugitives des évènements extraordinaires pour le petit garçon que j'étais.

Mon père était docker au Havre après y avoir fait son service militaire. Rappelé en 1939, parti du Havre à pied avec son régiment en direction d'Arras, il n'avait fait qu'une centaine de kilomètres, une chaussure trop petite lui ayant blessé la cheville avec des complications telles qu'il avait été libéré de l'armée, Dieu merci. En 1942, les bombardements incessants des anglo-américains avaient déjà détruit une partie du Havre dont l'appartement de mes parents. Mon père avait décidé de retourner dans son village natal : Saint-Laurent/Mer où nous avions "squatté" différentes maisons abandonnées. Mon grand-père Louis Mouillard habitait une petite maison près du lavoir. Mon père avait été employé comme mineur de fond aux mines de charbon de Littry. Il avait aussi participé avec les hommes du village à la construction de blockhaus disséminés le long de la falaise et dans la campagne. Constructions solides car après les bombardements intenses, ils restèrent pratiquement tous en bon état.

 
René MOUILLARD rappelé en 1939
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La villa « Les Mouettes » La Kommandantur La maison Mouillard
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Le Général de Gaulle sur la plage de ?, quelques jours après le 6 juin. René Mouillard à la mine de Littry le 10 juillet 1943
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Pendant la semaine précédant le débarquement le village avait été bombardé nuit et jour. Mon père avait un poste de radio caché dans le double fond d'une caisse à charbon, tous les jours pendant vingt minutes il écoutait radio Londres et il savait l'imminence du débarquement. De maison en maison nous étions arrivés dans la villa "Les Mouettes" appartenant à des parisiens : la famille Anger.

Ma première image est pour le jeune lieutenant allemand de la Kommandantur qui était situé à deux maisons de celle qui sera la notre quelques temps après dans le "quartier de la gare" après celle de Gustave Bottin. Ce jeune lieutenant s'était pris d'affection pour moi m'a raconté ma mère plus tard. En fait les troupes allemandes de Saint-Laurent/Mer étaient constituées soit de très jeunes soldats (18-20 ans) soit de réservistes âgés de 45 ans qui disaient à mon père : "nous, bientôt Ka putt !".

Ma seconde image date du 6 juin, ce matin là, au lever du soleil, mon père me prit et me monta au deuxième étage de la villa "Les Mouettes". On apercevait la mer de cet endroit et je vis des centaines de points noirs à l'horizon, c'était le débarquement. Un obus tomba à vingt mètres sur le portail d'entrée de la maison. Nous partîmes nous installer dans le lit d'un ruisseau, ce coin était appelé "fosses taillis". Les habitants du quartier : les familles Mouillard, Cardine, Cottin, Lemière, Lemaitre et peut-être d'autres aménagèrent rapidement un abris sous les branches des arbres. Mon père dans la journée alla traire des vaches pour nous ramener du lait, il fut pris par une patrouille allemande qui hésita longtemps avant de lui laisser la vie sauve. Ce n'est que le surlendemain matin que les premiers soldats U.S se montrèrent. Mon père les vit le premier, sortit les mains en l'air et comme il parlait un anglais rudimentaire appris sur le port du Havre, il entama une conversation. Les soldat nous firent tous sortirent, mon père me portait, ma mère avait ma soeur dans ses bras, ils nous alignèrent tous au mur de la ferme appartenant actuellement à la famille Olard. Mon père parlant anglais ils le prirent pour un espion, de toutes façon ils pensaient avoir à faire à des allemands, leur commandement leur ayant expliqué qu'ils avaient donné ordre aux français par la radio de disparaître des villages du débarquement ! Les mitraillettes furent pointées sur nous pendant une bonne demi-heure. Notre premier contact avec les nord-américains n'avait pas été très rassurant. Ils nous rassemblèrent tous dans la ferme Olard et nous distribuèrent de la nourriture. "Le plan Marshal avait commencé".

Les allemands avaient constitué un réseau de tranchées aboutissant près de grands arbres et pendant deux semaines après le 6 juin des francs-tireurs harcelèrent les soldats U.S. Ces derniers prirent mon père et Cardine pour les débusquer. Ils rentraient dans les maisons abandonnées mon père devant, un soldat U.S derrière avec une mitraillette placée sous son bras, la porte enfoncée ils rentraient, mon père faisant office de bouclier humain.

Ma troisième image forte est pour le lieutenant allemand dont je vis le cadavre tiré avec une corde par les soldats.

Mon père toujours grâce à sa connaissance de l'anglais avait trouvé un emploi d'interprète auprès d'un colonel chargé de l'intendance. D'après lui, il était un peu gangster natif de Chicago, ceci pouvant expliquer cela ! Les paysans normands qui avaient tous pratiqués le marché noir avec les allemands s'en rendirent compte bien vite. Alors que les allemands payaient bien et de suite, l'intendance U.S payait mal ou pas du tout. Mon père se trouva possesseur d'un stock important de conserves qu'il distribua dans le village même à ceux qui nous avaient refusé du lait et des oeufs auparavant.

Saint-Laurent/Mer devint un gigantesque lieu de passage pour l'approvisionnement des troupes avançant vers l'est. La manutention se faisant uniquement avec des soldats noirs car ces derniers n'avaient pas le droit de combattre avec les blancs. Ces soldats ne s'embarrassaient pas de sentiments et arrivaient dans les maisons à n'importe quelle heure de la nuit. Le colonel de l'intendance avait donné à mon père un gros revolver qu'il cachait sous le traversin. Il n'eut heureusement pas l'occasion de s'en servir.

Au début de l'année 1945, la grande ferme située devant le monument aux morts fut transformée en camp de prisonniers allemands. Mon père avec quelques hommes du village (Lemarquand, Poisson...) se retrouvèrent gardiens. En fait, leur mission, guidés par un spécialiste français du déminage fut d'envoyer ces allemands à la recherche et à la destruction des mines ou obus. Quatre prisonniers payèrent de leur vie ce déminage et je me souviens avoir vu leurs corps ensanglantés alignés devant la maison des Cardine.

Après avoir été la mascotte des allemands je devins celle des soldats U.S. Un jour qu'ils jouaient à la balle avec moi, la balle étant ma petite personne, l'un d'entre eux me laissa tomber avec comme résultat une fracture du cubitus du bras droit.

Au début de l'année 1946, il ne restait de la venue des états-uniens qu'un immense tas de ferrailles sur terre et surtout sur la mer et la plage de Saint-Laurent. Toutes ces péniches échouées devinrent le lieu d'amusement de tous les gamins du village. Une première société hollandaise avait été désignée pour découper et renflouer éventuellement les bateaux échoués. Encore une fois les hommes du village se retrouvèrent scaphandriers, chalumistes, manutentionnaires.

1945  1946/1947
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Les prisonniers allemands chargés du
déminage de Saint-Laurent. 

René Mouillard travaillant au démontage des épaves
Devant le Ruquet, la jetée métallique qui reliait
le bord de la plage à la ligne de bateaux au fond..

1946 1946/47
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  Paul, Monique et leur mère Louise Mouillard
sur la plage encore encombrée.